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— Quatre cents, et mille, » dit Ariette, sans ouvrir les yeux.

Des tables voisines plusieurs joueurs s’approchèrent. Pour Saïgon, le coup était gros : il y avait au pot l’équivalent de quatre cents louis de France.

Fierce se tourna vers Malais :

— « Vous m’excuserez, dit-il, je prends très mal vos intérêts ; mais en vérité, j’ai honte de ma veine. »

Il abattit son jeu.

« Je tiens sec, sans relance : floche royal majeur. »

Il avait l’as, le roi, la dame, le valet et le dix de cœur, — le jeu imbattable. Ariette, de citron, devint paille, ce qui était sa façon de pâlir. Un concert d’exclamations admiratives saluait le vainqueur. Avec des doigts qui ne tremblaient pas du tout, Fierce attira le pot et le mêla à son tas de billets ; puis il fit deux parts égales, et pria Malais de choisir.

Cependant Ariette s’était ressaisi en un clin d’œil.

— « Cher monsieur, dit-il, j’ai fait mille piastres sur parole, et je vous les dois. Vous les recevrez demain matin…

— Pas trop tôt, je vous prie, dit l’enseigne en riant ; il m’arrive quelquefois de ne pas être matinal. »

Ariette sut rire avec infiniment de bonne grâce

— « En ce cas, dit-il, faisons mieux : je ne déjeune jamais avant midi : est-ce assez tard, et voulez-vous me faire l’honneur de venir demain vous asseoir à ma table ? je vous remettrai ainsi notre petite différence, et vous me dispenserez d’un voyage maritime qui m’effraye : votre Bayard est si loin du quai !