Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/170

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conscience. Il leva les épaules quand Torral têtu prononça :

— « L’amour, dès qu’il cesse d’être un rut, est une anémie intellectuelle. »

Ils allèrent à pied chez Mévil. La rue Némésis fleurait des odeurs indigènes. Ils prirent la rue d’Espagne par le bout, et arrivèrent en un quart d’heure. La grille du docteur était ouverte, et dans la cour aux grands flamboyants, le pousse laqué et argenté attendait le maître.

— « Jolie, la cañha, dit Fierce avant d’entrer.

— Appétissante et discrète : un piège à femmes. »

Torral appréciait en peintre ou en algébriste, la tête penchée, les yeux clignés. La maison de Mévil s’embusquait derrière son rempart d’arbres, et chaque étage poussait au dehors une véranda masquée de vigne vierge qui ressemblait à un bouclier. Sitôt la grille poussée, l’allée tournait court vers le perron oblique, et le visiteur dès son premier pas devenait invisible.

« Le temple de l’amour-rut, dit encore Torral. Il y a là-dedans des chaises longues à la mesure de toutes les femmes : Celles que tu vas chaque jour respecter à domicile, chez Malais ou ailleurs, se sont couchées sur ces chaises, ou s’y coucheront.

— Possible, » dit Fierce, sec.

Ils entrèrent.

Mévil était seul, sa dernière cliente partie. Son cabinet, qui était vaste, réussissait quand même à paraître intime, à force de demi-jour et de silence