Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/299

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en selle, un peu plus las et plus anxieux, et comme endolori jusqu’à l’âme. Il se trompa de route et continua vers Cholon au lieu de rentrer à Saïgon.

Sa maîtresse, épuisée de plaisir, l’avait laissé partir sans un mot, sans un regard d’adieu filtrant entre ses paupières closes. Après l’heure libertine et égoïste, il aurait souhaité quelque tendresse, même menteuse. — De la tendresse ; — il songea qu’il n’y en avait jamais eu dans sa vie.

Jamais ; — non plus que d’émotion, ni de larmes Tout était sec, jusqu’à son plus lointain souvenir. Or, depuis deux mois, il entrevoyait d’autres choses, des frissons inconnus, — meilleurs ; — il entrevoyait… Il tressaillit : là-bas, le soleil découpait sur un mur une bizarre forme blanche. — Il tourna court et se jeta dans un chemin de traverse, précipitant sa course. Une autre route était au bout du chemin ; il la prit au hasard, sans remarquer que c’était la route des Tombeaux.

Elle se déroulait, plate et rouge, à travers la grande plaine bosselée de tombes. Un peu d’herbe, des buissons ras, on ne voyait rien de mieux jusqu’à l’horizon, et tout était couleur de sang séché, à cause de la poussière. En plein jour, la vieille nécropole, — trop vieille, — n’était pas farouche ni sinistre, mais seulement monotone ; et le chemin même n’était pas désert : deux fois Mévil croisades promeneurs.

Il alla bientôt moins vite. Depuis longtemps ses muscles étaient amollis contre toute fatigue, saut amoureuse ; et la route était longue ; il n’en était