Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/308

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à la civilisation. Déracine de ta mentalité les dernières touffes de préjugés, de conventions, de religions. Redeviens ce que tu étais avant ta crise, un homme parmi les enfants qui peuplent la terre. Et tu retrouveras la volupté des hommes, la saine et raisonnable volupté qui consiste à ne pas souffrir. »

Il regardait Fierce droit aux yeux, et Fierce le regardait aussi, pensif. Leurs deux esprits s’appliquaient à leur divergence. Torral fit une cigarette et l’alluma.

Dans le silence, ils entendaient la lampe crachotter, à bout de pétrole.

— « Alors, dit soudain Fierce, la vie te plaît ?

— Oui.

— Tu ne souhaites rien de mieux ? cela te suffit, — dormir, manger, boire, fumer le tabac et l’opium, faire l’amour aux femmes, non, aux boys ?

— Oui,

— Et du fond de ta sincérité, tu crois que le mal et le bien sont des balivernes, et qu’il n’y a ni dieu, ni loi ? »

Torral ricana.

— « Séance de catéchisme. Je crois en un seul dieu : l’évolution déterministe ; je crois au bien et au mal, en tant que règlement d’utilité sociale, prudemment inventé par les malins contre les niais ; et je crois même que l’homme est composé d’un corps et d’une âme, celle-ci étant mathématiquement définie, l’intégrale des réactions chimiques de celui-là. — Maintenant, pour plus ample commentaire, j’ajouterai