Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/15

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qui lui plut au point qu’il voulut boire du champagne dans son soulier, et il faut ajouter qu’elle avait le pied bien fait et fort petit.

Le jeune Anglais ne se contenta pas de cela : il voulut manger le soulier et le fit accommoder sur-le-champ.

La tige, qui était de damas, fut mise en ragoût, la semelle en hachis, et les talons de bois, coupés en lamelles fines, furent frits au beurre et servirent à garnir le plat, qui fut savouré amoureusement.

Cette folie fut renouvelée au XIX° siècle, à Saint-Pétersbourg, en l’honneur de la Taglioni, dont un soir deux admirateurs dévorèrent les chaussons de danse.

Il ne faut parler ici que pour mémoire des cabarets à bière (Ale houses), où l’on ne voyait guère de femmes et où on ne donnait pas de verres, toutes les personnes de la même compagnie buvant au même pot. Quand le maître du cabaret servait lui-même, on l’invitait ordinairement à boire le premier et il acceptait toujours, disant :

« Your healths, gentlemen. (À vos santés, gentlemen). »

Il enfonçait alors son nez dans l’écume qui s’élevait au-dessus du pot et s’essuyait ensuite du revers de la main en faisant passer la bière de droite à gauche. Et celui qui aurait témoigné de la répugnance à boire après son voisin aurait été regardé de travers.

Il y avait aussi parmi les basses et crapuleuses tavernes quelques cafés où les femmes allaient la nuit. Les plus nombreux de ces établissements étaient semblables au café de Tom King.

Dans cette baraque en planches, accotée au marché, en face de Tavistock Row, on trouvait toute la nuit de pauvres filles, parfois belles et jeunes, mais bizarrement attifées et trop fardée, les yeux cernés à l’encre de Chine, parées de colliers en verroteries de toutes couleurs, de