Page:Clemenceau-Demosthene-1926.djvu/12

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
DÉMOSTHÈNE

enfants, qui sentent avant de comprendre, se le montraient du doigt, en murmurant : « C’est lui ! » Et c’était lui, en effet, une force indéfinissable, au-dessus des désespérances, non moins redouté des ennemis eux-mêmes que des amis tremblants qui, le voyant si ferme, sentaient défaillir en eux le courage de le suivre. Par un trop juste pressentiment de vos faiblesses à venir, son inébranlable résolution vous faisait peur. L’anticipation du reproche qui pèsera sur vous, parce qu’en le trahissant vous vous êtes trahis vous-mêmes, avec l’humaine postérité.

Eschine, l’adroit parleur au service de Philippe, vous le repoussiez non sans une secrète indulgence, en vous demandant si le temps ne viendrait pas pour vous d’invoquer son recours auprès du vainqueur. Phocion, le hautain défaitiste qui prenait tant de plaisir à vous accabler ouvertement de son mépris, vous lui renouveliez indéfiniment son mandat de stratège, sans qu’il vous fit l’honneur de vous le demander. Ces contradictions, ce fut la substance même de votre vie. Vous en composiez une image légère où vous vous plaisiez à vous reconnaître dans le bruit des paroles fugitives qui vous charmaient surtout par la sonorité. Le monde a recueilli votre soupir de soulagement, quand il fut avéré, après l’inglorieuse défaite de