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DÉMOSTHÈNE

Cranon, que c’en était fait de Démosthène et de ses appels aux douleurs des trop hautes vertus. C’était bien fini cette fois. On allait vivre, en fin, dans la douce paix des décadences, au hasard des asservissements. Antipater lui-même, tout frais de l’exécution, se donne le plaisir suprême de pleurer son redoutable ennemi.

Cependant, la vie continue. L’Univers ne connaît pas de dénouement. Impassible, le temps nous apporte la reculée de grandes perspectives, pour notre édification des hommes et des choses mis à leur juste plan. Grands hommes et petits ne sont plus que poussière d’histoire. Des plus hautes actions, comme des plus basses, il flotte un souvenir confus qui permet trop souvent de défigurer les vies passées pour les adapter aux agitations du présent. Cela paraît fort loin de la justice éternelle attendue de la vallée de Josaphat. Dans la vie, dans la mort, l’absolu nous échappe. Qui n’est pas moralement en état de se suffire à lui-même doit s’attendre à des déconvenues.

Démosthène, ardent foyer de puissances irrépressibles, se choisit un idéal à la hauteur de ses moyens qui dépassaient l’ordinaire mesure. Je doute qu’il ait jamais pris le temps de se juger lui-même. Trouvant des adversaires dignes de ses efforts, il put donner, aux pires heures, le plein de