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DÉMOSTHÈNE

qui vient s’offrir à elle commence par se donner. La savante ordonnance des arguments, la cadence des périodes, l’ampleur ou la sobriété du geste, l’harmonie des pensées, l’effet d’une voix bien conduite jusqu’à l’éclat final, toutes ces dispositions savantes font admirer le discours, mais ne suffisent pas à enflammer les foules aux heures des suprêmes dangers. Qui veut convaincre doit être convaincu d’abord. Ce n’est pas assez que l’intelligence se rende, si l’élan de l’émotivité n’emporte pas les cœurs. Pour mouvoir tant de vies indifférentes ou rebelles, il faut, dans la parole, une effusion de profondeurs. L’homme se donne : on le prend. Il s’élance : on le suit… jusqu’à l’épreuve de l’événement. Démosthène se donnait à Athènes ; Eschine, le rhéteur par excellence, était au service de Philippe. Avec son éloquence massive de marteau-pilon, Démosthène agissait en force irrésistible tandis qu’Eschine, ingénieux, débitait des arguments. Le Discours pour la couronne jetait l’un, pour un jour, aux sommets de l’apothéose, cependant que l’autre, tout saignant, allait se cacher à Rhodes ou à Samos.

A côté d’Eschine, il y avait Phocion, citoyen intègre, général intrépide, mais défaitiste obstiné, cherchant dans la défaillance publique l’intérêt de sa patrie, par incapacité de saisir un autre idéal que de vivre à tout prix. Dernier vestige d’une