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AU SOIR DE LA PENSÉE

avec Einstein, à la conception d’un univers « fini mais illimité », le phénomène humain, auprès duquel pâlissent les splendeurs cosmiques elles-mêmes, veut un développement d’énergie consciente pour affronter les changeantes rencontres de l’inconnu. Une chance imméritée nous a fait ce que nous sommes. L’univers est un habitacle à n’en point chercher d’autre. Quelle prodigieuse destinée qu’il nous soit échu, pour un jour, de l’achever d’une connaissance de lui-même !

De quel intérêt peuvent être, en fin de compte, aux mensurations de l’incommensurable, les proportions du microcosme ou du macrocosme dans lesquels nous sommes perdus ? Parcelles d’infini, le plus faible changement de l’immense aventure cosmique peut retentir en nous de toutes distances. Notre satellite, par exemple, en s’éloignant peu à peu de la terre, nous promet, pour des temps futurs, des changements qui ne pourront manquer d’avoir d’importantes répercussions sur notre vie. Je cite ce petit fait qui peut paraître d’insignifiance, mais dont les suites ne s’imposeront pas moins pour des effets inattendus. Dans l’inexprimable complexité du Cosmos, que de surprises peuvent nous attendre ? De quelle autorité, dans les comptes de l’infini, les 12 000 kilomètres du diamètre terrestre comparés aux 1 200 000 du diamètre solaire et aux 640 millions du diamètre d’Antarès, ainsi que tous autres épouvantails de mesures auxquels nous ne pouvons rapporter aucun mètre de proportions avec notre minuscule et grandiose phénomène de sentir, de connaître, d’exprimer ?

Cependant, une audace nous vient d’oser regarder en face des prodiges qui ne sont des prodiges que par rapport a notre personnalité d’où la jauge des dimensions cosmiques paraît exclue. Nous sommes nous, et pour l’heure qui est la nôtre, nous essayons de vivre au plus haut de nos facultés. N’est-il pas temps d’ouvrir les yeux pour admirer en nous autre chose que la durée et l’étendue ? Antarès emplirait l’absolu du temps et de l’espace, au titre d’une fantastique dilatation de l’éther, que je n’en serais pas plus confondu que des fusées de l’atome flamboyant. En revanche, des passages progressifs de l’existence minérale aux évolutions de conscience, dans les enchaînements organiques de la vie, sont un événement du monde digne d’une halte dans notre élan d’investigation. Ce « miracle des miracles »