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l’évolution

qu’elles ne fussent pas coordonnées. Et le prodige des prodiges est que nous soyons tenus de faire la démonstration positive de l’enchaînement universel sous les anathèmes des pontifes de l’hallucination. Il arrive, d’ailleurs, que les spectacles de la bête soient évocateurs d’humanité jusqu’au plus profond du phénomène. Mon bull-terrier, ayant étranglé son camarade qui lui disputait un os, le criminel, bien que non attendu de la Cour d’assises, demeura trois jours, tête basse, dans un coin, avec les signes manifestes du regret, peut-être du remords. D’organes similaires que peut-on attendre sauf des similitudes de réactions ?

À voir les jeux des bébés chiens sous le regard amusé de la mère, comment l’idée ne viendrait-elle pas d’une comparaison inévitable ? Le jeu est d’un exercice gymnastique, producteur, par les « habitudes lamarckiennes », d’une poussée d’évolution. Tous les jeunes s’y emploient, y trouvant un apprentissage anticipé de la vie. Mais le jeu a des règles, des données d’intelligence et de sentiment hors de la convention desquelles il ne serait que sursauts d’épilepsie. Ces conventions, personne ne les a enseignées aux jeunes animaux, qui s’abandonnent simplement aux détentes des coordinations de leurs organes. Mais parce que ces organes sont de même nature et de mêmes coordinations que les nôtres, les activités déclenchées arrivent fatalement à l’identité des effets.

En dehors du roman de la poupée, il n’y a vraiment qu’un seul jeu : la bataille en des formes variées, où les violences, mesurées par des atténuations d’adresse, se donnent simultanément carrière, en attendant le jour où rien ne sera plus ménagé, dans la grande lutte de tous pour la place de chacun au soleil. Voyez de quel cœur, sans trace d’apprentissage, les jeunes animaux (homme inclus) se jettent aux simulations du combat. Les petites griffes, les petites canines ont bien soin de ne pas appuyer trop vivement, mais elles appuient tout de même et la mimique du coup de patte et du coup de dent y est souverainement installée. On se bouscule, on se roule, on crie avec des apparences de fureur, et la maman même y fait quelquefois sa partie. Quel autre spectacle de nos enfants, sinon que ceux-ci auraient peut-être plus tôt fait de dépasser la mesure. « Jeux de mains, jeux de vilains ». Les singes de Mathura qui jouent agilement, sur les marches du fleuve ; avec les lourdes tortues attirées