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au soir de la pensée

par la poignée de riz du voyageur, ne peuvent faire ni recevoir de mal, d’où peut-être une commune amitié. Comment ne pas reconnaître que ce concert d’activités spontanément coordonnées chez l’homme et chez les animaux veut d’identiques correspondances d’émotivités, de mentalités, où se dévoile la naturelle communauté des organes et des fonctions ?

La petite fille fera vivre sa poupée, comme le petit garçon son cheval, dans l’apprentissage d’une activité pressentie. Le jeune chat, d’ambitions moins compréhensives, n ? aura besoin que d’une pelote de laine pour figurer la souris ; Voyez ses attitudes : l’embuscade, le saut sur l’ennemi, le coup de patte qui le met en fuite, et le bond qui le fait prisonnier. Adulte, les capture d’une souris vivante va l’amener à reprendre le jeu, en passant d’une convention imaginaire aux joies cruelles de la réalité sauvage.

À notre exemple, le félin n’est pas toujours idéaliste dans ses rapports avec le faible. Sous notre main puissante, nous le verrons de douceur, tout de puérile aménité. Vienne la tentation d’abuser de sa force, la cruauté du félin se retrouve ; comme de l’humain inventant le jeu de la chasse, pour une récréation dont les tortures de la victime font tous les frais. Inadapté aux complications de notre cynégétique, le chat passe soudainement des caresses humaines aux voluptés barbares des supplices physiques et moraux ingénument combinés pour porter à l’extrême la douleur déchirante qui les achèvera. En ses chambres de tortures, où la charité du verbe chrétien alternait avec les fers du bourreau, l’Inquisition, dans l’intérêt de leur salut, faisait passer ses pénitents par toute la gamme des convulsions de souffrances, aggravées de l’éternité des supplices infernaux.

Par grâce singulière, le chat, simple carnassier, ne va pas si loin. Il tient une petite souris vivante, dont le cœur bat bien fort, tandis que l’éclat noir de deux petits yeux ronds disent l’anxiété d’une effroyable attente. En ses griffes acérées, le tourmenteur tient la faible vie palpitante et prend bien garde, pour, l’amusement qui va suivre, de faire sentir la pointe sans trop vivement l’enfoncer. C’est une joie maîtresse d’infliger la douleur et de la ménager. Tremblante la bestiole se tient coite, et le chat, très grave, les yeux ailleurs, semble méditer. La victime peut croire qu’elle est oubliée. Qu’elle essaye un bond de salut, et la patte sanglante l’enverra rouler ventre en l’air. Blessée, elle