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au soir de la pensée

arrive de se croire révolutionnaire, dans l’attente simpliste d’une idylle de paix sociale surgie des à-coups de brutalité.

Société religieuse, ou société civile ? pourra-t-on demander. Comment classer les émotivités prime-sautières des premières agrégations d’humanité dont nous-sommes hors d’état de rien connaître ? L’élément « religieux » et l’élément « laïque » ne se pouvaient, alors, distinguer l’un de l’autre — aucune puissance d’analyse n’étant encore en vue. Ce fut une autre affaire dans l’Empire romain quand la religion chrétienne n’était rien qu’une association de fait, interdite ou tolérée. En revanche, dès qu’il lui fut possible, elle prit en mains tous les pouvoirs de l’État, et en fit la doctrine de son usurpation sur la puissance civile avec laquelle ses luttes n’ont pas cessé. Elle ne nous apporte la perfection de l’état social, que prudemment renvoyé à une autre vie. Surtout, elle se propose de nous dominer. N’a-t-elle pas fait usage de ses foudres même contre les têtes couronnées ? Elle n’a brûlé que ceux qui ne pouvaient pas se défendre. Comme idéal de vie civile, elle a l’isolement du monastère, importé d’Asie — souverainement efficace pour le salut éternel. En recommandant le célibat comme supérieur au mariage[1], en dénonçant le monde pour exalter le couvent, le christianisme historique a pris position contre la société elle-même. Mais la nature a parlé plus haut que le dogme.

Quand le christianisme jaillit des foules, à la parole des apôtres, c’est que l’hellénisme ne lui laissait plus rien où se prendre. Les prédications de saint Paul n’apportaient aux Gentils qu’un renouveau des vieux thèmes d’Asie, où se retrouvaient les plus anciennes émotivités de l’Aryen. Vainement, Julien, empereur et philosophe, crut pouvoir se porter au secours de mythes sans vertu. Pas un moment la foule, malgré les adjurations de Libanius et de tant d’autres, malgré l’horrible appoint du cirque, ne put être entamée. Des mots nouveaux pour des émotions de toujours ! Voilà le vif de la révolution chrétienne, parmi les tumultes révolutionnaires du moment. Nos hommes de 93, sous les auspices de la Déesse Raison, ne surent que revenir a l’ultima ratio des violences dont l’ensei-

  1. On connaît la parole de saint Paul : — « L’homme fait bien de renoncer au mariage. » Épître aux Corinthiens.