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au soir de la pensée

méconnaître, pour des adaptations d’émotivités en vue d’adoucissements à trouver. Combien plus haut pourrions-nous nous réaliser nous-mêmes, si le dire et le faire n’étaient redoutablement séparés ! La délectation du vocable est si grande que le geste des profondeurs en est oublié, sinon même anéanti. Quels rapports des paroles d’amour du Galiléen avec les supplices et les tueries qui en parurent la traduction naturelle à ses « chrétiens » ? Quels enchaînements de Voltaire, de Rousseau, de Montesquieu, de Condorcet au tribunal révolutionnaire, à la loi de Prairial ? Que de beaux livres de charité humaine ! Que d’empiriques commentaires d’animalité !

C’est l’homme divers, en ses oscillations de douceur et de férocité, pour lesquelles l’égoïsme lui-même a besoin d’une musique d’idéal chanté. L’implacable renouvellement organique que lui veut l’évolution de sa vie ne peut que l’entretenir dans des sentiments d’indifférence envers les organismes que leur faiblesse lui livre comme une proie. L’univers est ce qu’il est. Nous ne pouvons que nous y conformer. Au contraire de l’hypothèse divine qui serait impardonnable, l’excuse du mal cosmique, c’est de n’avoir pas été prémédité.

Douleurs et plaisirs, sensations de résonnances ou de dissonances cosmiques, s’impliquent et se conditionnent réciproquement. Nos réactions de sensibilité, nous les pouvons bénir ou maudire, selon l’occasion, mais sans elles la vie ne serait qu’une composition de mécanique cartésienne sans utilisation d’effets. Que pouvons-nous faire de nos sensations associées, sinon de les disposer, de les coordonner en des classements de rapports constitutifs de la connaissance et, par là, conducteurs de nos activités ?

Aux premiers échelons, l’initial frémissement des obscures sensations de l’organisme monocellulaire. À l’autre extrémité, les développements de l’investigation humaine toujours en acte d’interroger. Théâtral colloque de l’homme et de l’univers pour des compositions d’énergies, ou apparaîtront simultanément la tradition d’ancestrales méconnaissances et la nouveauté des rectifications d’expérience. Pour quels résultats ? Nous voulons sentir, nous voulons connaître, nous voulons inscrire notre émotivité dans les choses, nous émouvoir des beautés du monde et de nous-mêmes, au cours d’une vie préci-