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La civilisation

munes dénominations. Le premier problème est du « bon tyran », qui a la préférence des âmes candides, mais dont l’expérience est encore incertaine, même au spectacle des « peuples libres » qui usent et abusent de leur droit de se tromper. La liberté peut-elle venir de l’autorité ? C’est ce que je ne puis croire. Quel usage faire d’une « liberté » qu’on ne s’est pas montré capable de conquérir par des tentatives hasardeuses de pratique dont l’échec passager est peut-être la meilleure leçon ?

Longtemps, autocratie, oligarchie, démocratie furent des distinctions d’étiquettes plutôt que de positivités, l’ordre se faisant surtout d’une succession de désordres chanceusement compensés. Des âges s’écouleront, avant que l’on en vienne à distinguer, dans l’action publique, le dessein de l’exécution pour des ajustements d’organismes sociaux plus ou moins cohérents. Le fameux débat, entre les seigneurs persans, tel que nous le présente Hérodote, après le meurtre du faux Smerdis, montre, qu’en ces jours même, des esprits « éclairés » étaient encore fort loin a de telles distinctions.

Si l’on entreprend jamais d’écrire l’histoire comparée des sociétés humaines, on sera peut-être surpris qu’il résulte de séculaires redites si peu d’enseignement. Non que la table générale des vœux, publics ou secrets en tous pays, soit d’une détermination malaisée. « Démocratie, c’est isonomie », c’est-à-dire égale distribution de justice pour tous, fait dire « le père de l’histoire » à l’un de ses conspirateurs qui pousse le désintéressement jusqu’à refuser la candidature au trône. C’est bientôt dit. Il reste le comment réaliser.

Distribution automatique des bienfaits sociaux par un haut fonctionnaire, de débonnaireté souveraine, répandant en tous lieux des agents de bienfaisance universelle qui font « les délices du genre humain », voilà le programme très simple de tous nos empirismes de gouvernement. Ce qui complique gravement la question, c’est que l’homme est moins un mécanisme de passivité à contenter béatement, aux fortunes du jour, qu’un organisme d’activité, conduit, par son évolution même, à rechercher toujours le plus possible des satisfactions personnelles de son propre effort.

C’est le plus clair de ce qu’il réclame sous le nom de « liberté ». Et comme la liberté de chacun doit être réglée selon « l’égalité »