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La civilisation

surtout des éventualités de réalisations. Comparez ce que l’Inde a rêvé, avec la substance efficace de vie pensante qui nous en est demeurée, ce que la Grèce a voulu, et ce qu’elle a fait, ce que Rome a fait, et ce qui en survit, ce que le christianisme a promis et ce qu’il a donné. Cela pourrait nous rendre modestes pour nous-mêmes et pour nos neveux. Partout et toujours de grandioses espérances, de hautes résolutions qui parurent trop souvent l’excuse des violences, et nous jetèrent, à travers l’ouragan des heures, aux déceptions, aux anxiétés d’un avenir où s’affaisse l’essor de l’imagination désemparée. Acceptons l’éclipse du phare, si nous demeurons vibrants dans l’attente d’un prochain éclat du faisceau lumineux.

Toutes ces vues, pourra-t-on dire, ne paraissent pas des plus fécondes en encouragements. Il se pourrait fort bien. Je cherche la probité de l’interprétation du phénomène pour m’y accommoder, non l’occasion d’accommoder le Cosmos éternel à mon état, aussitôt passé qu’apparu. Nous ne sommes pas des Dieux, voilà la grande découverte que je me permets de soumettre à mes contemporains. Me sera-t-il permis, cependant, de préférer l’état d’homme à celui de colimaçon, et même, puisque je suis homme en évolution, de tendre à développer mes efforts de connaître jusqu’à la vue la plus compréhensive de mon passage planétaire ? Et comment pourra se traduire ce pouvoir de connaître, sinon par l’incessante activité d’énergies ordonnées selon les lois cosmiques d’où nous sommes issus ? Quel plus bel emploi de la vie éphémère que l’incessante tentative de multiplier, de développer cette énergie d’achèvements, dits de « civilisation », selon les lois du monde qui nous ouvrent l’accès de réalisations supérieures pour un accroissement continu d’humaine dignité ?

Qu’y pouvons-nous, si l’évolution planétaire est fonction du refroidissement du soleil ? Que faisait votre Dieu dans les noires éternités de néant qui se succédaient en son sein avant que lui vînt l’idée de la création incohérente dont nous sommes, dites-vous, le suprême accomplissement ? Est-il certain que les insuffisances de la créature ne répondent pas, trait pour trait, à celles du Créateur ? Tâchons d être pleinement ce que nous sommes, ce que nous pouvons être, et vous verrez que le Cosmos poursuivra son chemin.

Est-il donc vain, pour nous, dans les agitations de la vie