Je me souviens de la répétition intime au Châtelet. L’œuvre, qui donne aujourd’hui tout son bouquet, le tenait alors si serré qu’elle dépita. Les dilettantes, habitués aux redites, ne purent suivre une synthèse d’âme populaire russe dont la mélancolie ne pleurniche pas et qui marche, d’un bout à l’autre, d’une seule traite, comme un roulement de tambour.
Certains spécialistes reconnurent le maître, et, insensiblement, les salles consacrèrent « Pétrouchka ».
« Pétrouchka » prit donc sa place : premièrement pour ce qu’il contenait de folklore ; deuxièmement comme arme contre du plus neuf. C’est, en effet, la façon du public de clopiner d’œuvre en œuvre, toujours en retard d’une, adoptant ce qui précède pour le blâme de ce qui va suivre, et, comme on dit « jamais à la page ». Nous nous vîmes fort peu avec Stravinsky, jusqu’à la fameuse première du « Sacre du Printemps ».
Le Sacre du Printemps fut joué en mai 1913, dans une salle neuve, sans patine, trop confortable et trop froide pour le public accoutumé aux émotions coude à coude, dans une chaleur de velours rouge et d’or. Je ne pense point que le Sacre eût rencontré accueil plus correct sur une scène moins prétentieuse ; mais cette salle de luxe symbolisait au premier coup d’œil le malentendu mettant aux prises une œuvre de force et de jeunesse et un public décadent. Public épuisé, couché dans les guirlandes Louis XVI, les gondoles de Venise, les divans moelleux et les coussins d’un orientalisme dont il convient de garder rancune aux « Ballets russes ».