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sa jeunesse.

manqua toujours cette souplesse plus nécessaire que le talent pour être bien noté. Étranger aux habitudes de la toute-puissante bureaucratie, incapable de se plier à la routine administrative, il choquait les préjugés de ses chefs, qui le desservaient auprès du roi. On verra qu’il souffrit toute sa vie de ce malentendu.

Le style des premiers discours du futur auteur des Considérations sur la France est d’un bon élève, nourri aux plus pures sources de la tradition classique qui expirait alors dans la puérilité. Un curieux document, conservé par hasard, montre l’idée qu’il se faisait, vers 1780, des conditions de l’art oratoire. Ce sont les corrections qu’il apporte à une mercuriale préparée par un de ses collègues. « Aucun terme technique, déclare-t-il, ne doit paraître dans un ouvrage d’éloquence. » Et, conformément à l’oracle qu’il a rendu, il biffe ferment, il biffe branche gourmande, il biffe capitulation, estimant que ce mot ne peut pas « s’employer au moral dans le style noble ». Son ami avait écrit un petit maitre. « Petit maître ! dans une harangue ! y pensez-vous !![1] »

En 1784, il prononça un discours de rentrée sur le caractère extérieur du magistrat. Ici, ce n’est pas seulement le style de Rousseau, c’est quelque chose même de sa pensée que nous retrouvons. Le jeune magistrat croit au contrat social, comme tout le monde y croyait alors. Il parle de

  1. Voir l’intéressante publication de M. Descostes, Joseph de Maistre avant la Révolution, 2 vol. in-8, Paris, 1893.