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joseph de maistre.

ces parlements de sauvages dont il se moquera si spirituellement plus tard, de ces hommes primitifs qui abdiquent une partie de leur liberté naturelle « autour de l’autel de la patrie qui vient de naître ». Rien encore ne fait présager l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg ; mais on y trouve une admirable élévation de sentiments, une haute idée du devoir. Nul n’a porté plus haut que Maistre la dignité humaine et il est beau de voir comment le jeune substitut se trace à lui-même le rôle qui lui est dévolu. Il demande au magistrat d’inspirer la confiance par la sévérité de sa tenue, par le choix des relations, par la pureté de la vie, d’écarter les solliciteurs par une réserve pleine de dignité. Le magistrat doit penser qu’on l’observe toujours, qu’on est porté à le juger sévèrement. Son attitude, dans toutes les circonstances de la vie, doit être telle qu’on se rende compte qu’aucune séduction ne peut avoir prise sur lui. Il ne doit jamais parler des affaires en cause, ni même traiter dans la conversation des questions de droit. Car le magistrat n’est pas un légiste qui ergote, mais un oracle qui prononce.

Ce langage, dans la bouche d’un homme si jeune, ne pouvait passer inaperçu. Si, à Turin, on en prit encore ombrage, croyant voir quelque arrière-pensée satirique, à Chambéry, Maistre se plaça d’emblée au premier rang de la jeunesse studieuse et intelligente. Il s’efforçait de réaliser lui-même le type du magistrat tel qu’il l’avait représenté. Exemplaire dans ses mœurs, il consacrait au travail de