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sa jeunesse.

nité des soupçons qu’on lui avait fait concevoir. La loge ne fut pas moins dissoute quelques jours plus tard. On pense bien que cet incident n’accrut pas la faveur dont jouissait à la cour le jeune substitut.

IV

Chambéry possédait, à la fin du XVIIIe siècle, une société intelligente et cultivée, comme il arrivait souvent jadis dans des villes de second ordre, où toute flamme intellectuelle semble être éteinte aujourd’hui. On aimait les lettres, on cultivait la poésie, on goûtait extrêmement le théâtre, souvent on jouait des pièces classiques dans les salons. Le jeune Maistre fréquentait volontiers dans le monde où sa situation l’avait placé. Là, ce n’était plus le mystique rêveur, ni le magistrat sévère, c’était le jeune homme plein de vie et de gaîté. Dans les réunions mondaines, soirées, dîners, ou « journées anglaises » — lesquelles duraient parfois de midi jusqu’à quatre heures du matin, — il était recherché pour sa belle humeur et son esprit. De ses premiers succès date ce goût du monde qu’il garda toujours et qui lui fut une grande ressource aux heures de détresse. Sa conversation n’était pas l’art raffiné des causeurs professionnels qui florissaient alors dans les salons de Paris, c’était l’expansion naturelle et spontanée d’une pensée riche, originale, avec le tour le plus imprévu, mais parfois avec des rudesses provinciales qui