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Page:Cogordan - Joseph de Maistre, 1894.djvu/30

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joseph de maistre.

auraient choqué peut-être les délicats habitués de Mme Geoffrin. « C’est une excellente terre, disait de lui Saint-Martin, qui l’avait vu vers cette époque à Chambéry, mais qui n’a pas reçu le premier coup de bêche. » — Maistre, en rappelant ce propos, trente ans plus tard, ajoute : « Je ne sache pas que, depuis lors, personne m’ait labouré ».

En 1774, en perdant sa mère, qu’il pleura toujours, il perdit la seule femme qui ait jamais pris sur lui une influence réelle. Les autres, d’une manière générale et en tant que femmes, occupèrent très peu de place dans sa vie. Le sentiment qu’il professait pendant sa jeunesse à leur égard se traduit dans quelques lettres de ce temps qui nous sont parvenues. Il parle d’elles à peu près comme ferait un séminariste. Ce qui le frappe surtout, c’est la fonction spéciale qui leur est dévolue en vue d’assurer la perpétuité de la race humaine : elles sont des « pondeuses », des « couveuses ». Si, écrivant à quelque ami marié, ces mots lui semblent un peu crus, il recourt à d’autres vocables empruntés aussi à l’histoire naturelle, il dit ta poule ou, pour être plus gracieux, ta tourterelle. Quand le moment lui parut venu d’avoir lui-même sa couvée, il se maria. C’est dire que son mariage n’eut rien de bien romanesque. Il était fondé sur une affection profonde et raisonnée, et précédé de fiançailles qui avaient duré sept ans. « M. de Morand, écrit Maistre à son ami Costa de Beauregard, en 1786, m’a donné une grande marque d’estime, en n’opposant jamais le moindre