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sa jeunesse.

obstacle à ma liaison avec sa fille. Je puis enfin lui témoigner ma reconnaissance en travaillant au bonheur de mon amie. Au surplus, mon cher, vous croirez sans peine que le mariage, pour l’homme tant soit peu sage, se fait, comme le salut, avec crainte et tremblement… Mon plan dans ma nouvelle carrière est court et simple, c’est de me servir des avantages que le ciel m’a donnés. Je suis la première et l’unique inclination de la femme que j’épouse. C’est un grand bien qu’il ne faut pas laisser échapper. Mon occupation de tous les instants sera d’imaginer tous les moyens possibles de me rendre nécessaire et agréable à ma compagne, afin d’avoir tous les jours devant les yeux un être heureux par moi. Si quelque chose ressemble à ce qu’on peut imaginer du ciel, c’est cela. » — Ce langage n’est pas celui d’un homme bien épris : Maistre parle du bonheur de sa fiancée plus que du sien, qui ne paraît être qu’un bonheur indirect. Il faut reconnaître que si, par certains côtés de son caractère, Mlle de Morand était très digne de l’union qu’elle allait contracter, elle n’avait peut-être pas l’envergure nécessaire pour suivre son futur mari dans les hauteurs où il planait. Mme de Maistre était douée d’un remarquable bon sens. Elle se montra pleine de courage dans des circonstances difficiles. Maistre fut pour elle un époux dévoué et affectionné ; il rendait pleine justice à celle qu’il appelait volontiers, avec une condescendance non dénuée de quelque ironie, « Madame Prudence ».