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joseph de maistre.

Les années qui précédèrent la Révolution ne furent marquées pour lui que par des événements de famille : la mort de son père, auquel il succéda bientôt comme sénateur, la naissance de son fils et de l’aînée de ses filles. Absorbé par ses tristesses et ses joies intimes, correspondant avec ses frères, ses sœurs, ses amis, menant de front ses études particulières et ses devoirs professionnels, poursuivant ses lectures, mêlé en même temps à tous les incidents locaux du monde et de la politique, mais n’ayant aucun but à poursuivre, aucune œuvre à accomplir, il succombait, comme il l’écrivait plus tard, sous « l’énorme poids du rien », Enlizé par les circonstances dans cette vie à la fois stérile et affairée, il est peu probable qu’il s’en fût jamais dégagé, si la Révolution française n’eût pas éclaté. Il serait resté un magistrat instruit et honoré, il eût été appelé peut-être à présider le Sénat ou même à siéger un jour à Turin dans les conseils du Roi. Il aurait écrit pour ses collègues quelques savants mémoires. Il aurait enrichi les archives des académies de sa province de travaux remarquables, que quelque compatriote curieux aurait peut-être exhumés après sa mort. Mais jamais sans doute il ne fût devenu le grand écrivain qu’il a été. La Révolution française fut l’aiguillon qui stimula son génie. Et son génie avait besoin d’être stimulé. C’est qu’en effet Maistre n’avait pas le tempérament d’un littérateur dans le sens que ce mot comporte souvent de nos jours. L’état d’esprit d’un écrivain de profession, écrivant