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les années d’émigration.

qu’en n’agissant point ou en ne se montrant qu’avec tous les symptômes de la peur. Ce système prêché depuis deux ans par des ignorants qui le croient et par quelques gens d’esprit qui le font croire a produit des effets dont Votre Excellence, qui est à la tête des affaires, peut juger mieux que personne[1]. » Et il constate que les idées du pays se transforment tous les jours, que la propagande française marche à grands pas dans tous les rangs de la société. C’était vrai. De part et d’autre, on n’attendait qu’une occasion de prendre et de se donner. Assurément le peuple de Savoie, de lui-même, n’eût pas fait la Révolution. Mais, grâce à l’identité de langue, grâce aux relations constantes entre deux pays que séparait une frontière tout artificielle, l’esprit nouveau se répandait dans le duché. Nombre de gens allaient assister, à Lyon et à Grenoble, à ces fêtes de la première époque de la Révolution où l’enthousiasme était si sincère et si contagieux. Livres et journaux pénétraient de toute part, malgré la police. À Chambéry, le Réveil de la marmotte poussait le pays à s’unir à la France. Les autorités étaient impuissantes, terrorisées par l’audace des meneurs qui sentaient le pays avec eux. Le Roi, à Turin, sous la protection des Alpes, entouré d’émigrés français qui le trompaient, gardant à sa cour ses

  1. Archives de Turin. Cette pièce a été communiquée par M. le B<exp>on</exp> Bollati de Saint-Pierre, surintendant des Archives du Piémont, que l’auteur est heureux de remercier ici de son obligeance.