Page:Colet - Les Derniers Marquis - Deux mois aux Pyrénées - 1866.djvu/175

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 161 —

Dans la gorge profonde où quelque source pleure
Parmi les gazons verts, fleurissant à mes pieds,
Souvent je vais m’asseoir et, laissant passer l’heure,
J’évoque de mon cœur les spectres oubliés.

Dans l’écume d’argent du torrent qui bouillonne,
Sous les grands hêtres noirs des lointaines forêts,
Sur les sommets neigeux que le soleil couronne,
Rêveur, pâle et mourant c’est toi qui m’apparais.

C’est toi, c’est toujours toi, spectre de ma jeunesse,
Toi mon amour si vrai, toi mon espoir si doux,
Toi le pur dévouement et la sainte tendresse
De la vierge qui tremble en s’offrant à l’époux !

Tu revis, et je sens se chercher et s’étreindre
Nos cœurs, tristes jouets d’un long malentendu ;
Et pour ne plus les voir ni pâlir ni s’éteindre
Nous retrouvons l’amour et le bonheur perdu.

Un monde dont mon cœur pressentit la lumière,
Nous entoure soudain de sereines clartés ;
Je sens renaître en moi mon extase première,
Et riante d’amour je marche à tes côtés.

Oh ! cette vision c’est la mort qui s’avance,
La mort qui réunit, la mort qui rend meilleurs,
Et qui ranime au jour de notre délivrance
Les rêves d’ici-bas qu’on réalise ailleurs !