Page:Colet - Les Derniers Marquis - Deux mois aux Pyrénées - 1866.djvu/193

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 179 —

solitude me saisit en ce moment ; je reste là, seule à cette fenêtre ; la nuit claire et sereine fait scintiller ses premières étoiles, une brume blanche se répand au sommet des monts ; il me semble voir, au travers de cette espèce de suaire flottant, défiler le cortège douloureux des affections brisées par la mort et de celles, angoisse plus poignante, brisées par la vie ; elles prennent un corps visible, comme celui que l’on prête aux fantômes, et marchent là-haut devant moi aux sons de cette musique funèbre que les ménétriers engourdis font courir dans l’air. La nuit plus sombre enveloppe bientôt ma vision : je n’aperçois plus que le mouvement assoupi de la place où les danseurs continuent à tourner avec tranquillité. Je monte en voiture et reviens aux Eaux-Bonnes, frissonnante et morne. Chaque fête, chaque foule, chaque agglomération d’âmes que je traverse me laisse ainsi anéantie ou désolée.

Les jours suivants, je fis seule plusieurs promenades ; le temps était devenu brumeux et prêtait aux montagnes et aux vallées une nouvelle parure et de nouveaux aspects. Lorsqu’il avait plu le matin, et que le soleil brillait vers midi sur la vapeur bleuâtre qui montait des gorges profondes, ou eût dit une mer laiteuse couverte d’un prisme immense ; cette étendue fantastique formait la pre-