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grosse paysanne béarnaise dont la stature me frappa d’autant plus que presque toutes les femmes basques sont petites et mignonnes. Mais cette femme appartenait à une autre génération. Elle avait quatre-vingt-dix ans ; son œil était resté vif, à peine si son front s’était ridé sous ses épais cheveux blancs enveloppés du capulet rouge ; quand elle riait, elle montrait toutes ses dents jaunies, allongées, mais entières ; elle avait vu passer bien de gros personnages, disait-elle. Du plus grand nombre, elle avait oublié le nom, mais elle se souvenait, comme si c’était hier, de Bernadotte qui, assurait-on, était devenu roi ; — de la fille de Marie-Antoinette, au visage triste et sévère, qui semblait n’avoir jamais ri ; — du petit duc de Montpensier, un beau gars, ma foi ! — de Rachel, qui lui donna un louis double ! — Et elle ajoutait, comme pour nous encourager à la bien payer, qu’elle se souviendrait aussi de nous !

Le soleil se couchait sur les plus hauts sommets qu’il empourprait de teintes magnifiques ; la nuit vient vite dans ces gorges de montagnes. Nous remontâmes en voiture et regagnâmes les Eaux-Chaudes. À mesure que nous avancions du défilé sombre le vent s’y engouffrait glacial ; je m’enveloppai dans mon manteau ; je me blottis au fond de la calèche, et tandis qu’on causait autour de moi,