Page:Colet - Les Derniers Marquis - Deux mois aux Pyrénées - 1866.djvu/244

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 230 —

dont il ne faut pas se flatter d’avoir raison. Le bruit des voitures qui arrivent et qui partent, le tintement des sonnettes, les voix retentissantes des domestiques qui s’appellent par leurs noms et dont l’accent gascon vous pénètre jusqu’à la moelle, les cris des marchands du dehors et le mugissement des vagues forment une clameur permanente où tous les tons assourdissants se trouvent réunis. Je m’étendis sur mon lit et je commençai à lire Fanny que la princesse Vogoridès avait reçue la veille de Paris et venait de m’envoyer. En général, quand j’ai lu trente pages d’un roman contemporain (excepté Balzac), j’interromps ma lecture sauf à la reprendre plus tard, mais sans impatience, sans désir. Ou l’histoire ne va pas à mon cœur ou le style me gâte l’histoire.

Je l’avoue, au risque d’effaroucher les critiques pudibonds, la lecture de Fanny m’entraîna ; je lus tout d’une haleine ce petit livre où la vérité et l’éloquence de l’amour vous saisissent comme un flot montant. Çà et là court une émotion ardente et communicative qui gagne surtout le cœur des femmes ; elles aiment ce jeune homme d’aimer si bien et si entièrement, et, suivant la belle expression de la marquise du Châtelet, avec cet absolu abandonnement de soi-même, à notre époque où l’on mesure l’amour, où les heures de la passion sont réglées comme celles des