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être décochés contre Héloïse et Abeilard à l’heure de la vengeance de Fulbert ! Mais les contemporains meurent, les générations se succèdent et s’intéressent à la vérité des passions. Les détails disparaissent, le drame et le nom des amants survivent seuls ; l’attrait de leur souvenir se forme et se transmet d’âge en âge. C’est cette vague et douce sympathie qui conduit chaque année tant de jeunes couples au tombeau d’Héloïse et d’Abeilard.

J’ai toujours pleuré sur ceux que personne ne pleure, je me suis toujours préoccupée de ces morts violentes dont on fait grand bruit tout un jour puis qui s’ensevelissent à jamais dans l’oubli. Après le récit de la catastrophe de la Roche-Percée je voulus me promener seule et revoir l’arche néfaste.

Quoique la chaleur fût intense, je tournai (en passant par la côte du Moulin), le sentier qui côtoyait la mer ; je m’arrêtai en face du roc funèbre impassible et dont les parois lavées par l’écume de la mer ne gardaient pas même les traces de sang du corps brisé de la jeune fille ; le soleil qui tombait d’aplomb sur le rivage et sur la mer égayait tout autour de moi ; les vagues seules toujours gémissantes semblaient pleurer sur celle qu’elles avaient engloutie. Je continuai à marcher, j’arrivai au pied de la terrasse du Casino suspendue sur la