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rante ans. Nous nous écriâmes tous : « impossible ! » Mais d’autres femmes qui passaient nous affirmèrent qu’elle disait vrai. Cette décrépitude anticipée est très-commune parmi les paysans du Midi ; ils restent forts et robustes ; la structure résiste, mais la forme extérieure perd toute jeunesse et toute fraîcheur. En comparant une belle Parisienne de quarante ans à cette pauvre créature dévastée, on pourrait douter si elles appartiennent toutes deux à la même espèce !

Nous retrouvâmes dans l’étroite rue que j’ai décrite la troupe de petits mendiants obstinés qui, alléchée par les sous que nous lui jetions, nous escorta jusqu’à notre barque ; nous remontâmes la Bidassoa avant l’heure de la marée ; l’eau était si basse que nos bateliers en touchaient le fond avec leurs rames. Bientôt ils durent descendre et marcher dans le fleuve pour remorquer la barque. Tandis que nous naviguions lentement de la sorte, Fontarabie se groupait admirablement sur le rivage ; ses beaux remparts brisés et verdoyants, son église, sa tour en ruine, ses portes béantes, ses grands fossés pleins de ronces, se détachaient sur le fond lumineux du ciel ; je regardais avec un recueillement attendri la pauvre ville en ruine. On donne toujours un adieu mélancolique aux lieux comme aux êtres qu’on n’espère plus revoir.