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moi là, je vais descendre, sans bruit, jusqu’à sa cachette, et je le forcerai à s’expliquer.

J’avoue qu’un peu de curiosité me poussait et que je ne partageais pas l’extrême et délicate réserve de Nérine à l’endroit de l’impertinente et hypocrite marquise. Laissant mes deux compagnes de promenade derrière le roc surplombé de la source, je descendis rapidement le long de l’eau jaillissante et j’arrivai comme une bombe sur la tête de l’écolier. Au froissement des feuilles de la fougère qui se courbaient sous mes pieds, il leva son nez tordu et me dit tout effaré, à voix très-basse :

— Quoi, vous aussi, madame, vous avez voulu voir ! Eh bien, regardez, là, en bas, sous nos pieds, mais ne parlez pas !

Je dirigeai mes regards dans la direction du geste de l’écolier, et j’aperçus Aglaé et le bel Italien, sur un petit promontoire de pelouse où croissaient quelques arbres et qui s’avançait dans l’eau du torrent. Lui était étendu sur le gazon et reposait sa tête sur une branche pendante ; il semblait exténué de lassitude, et sa pâleur inanimée me frappa d’épouvante, la lumière qui filtrait dans le feuillage vert des arbres projetait sur sa face la lividité de la mort. Les joues empourprées de la petite marquise contrastaient avec ce beau visage à l’aspect sinistre. Elle parlait avec feu,