Page:Colet - Lui, 1880.djvu/318

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 297 —

sa porte au pianiste Hess c’est que celui-ci lui préfère une marquise blonde.

— Vous êtes méchant et subtil, répliqua Sainte-Rive, et je vous trouve bien dupe, puisqu’une femme de l’esprit et du charme d’Antonia revient à vous de la repousser, avec des transes de saint Antoine devant le démon, car vous êtes tenté, mon cher, et, sans votre orgueil, vous lui crieriez : Accours !

— Obligez-moi de ne plus me parler d’elle, dis-je un peu sèchement et prenant mes gants et mon chapeau, je lui fis comprendre que je voulais sortir.

Cette nuit-là je me livrai à toutes les ivresses forcenées ; je parvins à tuer son souvenir. La nuit suivante je recommençai, et ainsi de suite durant plusieurs jours ; si bien que je devins une chair inerte ; je ne travaillais plus et bientôt je me sentis pris de la fièvre et m’imaginai que mon mal de Venise allait revenir.

Frémont, à qui j’avais promis les dernières pages d’un livre, n’entendant plus parler de moi, arriva un matin, et me surprit dans ce bel état d’abrutissement dont il devina la cause.

— Vous n’êtes pas pardonnable, me dit-il, vous tuez votre génie pour échapper à l’obsession d’un souvenir ; croyez-moi, mieux vaut tuer votre passion en la profanant.

— Que voulez-vous dire ?

— Qu’Antonia vous aime toujours, et que vous feriez mieux de la reprendre que de mener la vie que vous