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Page:Colet - Lui, 1880.djvu/350

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celle qui s’échappe de la voix, quelle qu’en soit la douloureuse signification, s’émeut de l’émotion même de celui qui l’écoute ; je me décidai donc à attendre la visite d’Albert et à m’abandonner à l’imprévu.

Le lendemain, dans la matinée, je reçus la réponse de Léonce.

— Jamais roman, me disait-il, ne l’avait intéressé comme l’histoire des amours d’Antonia et d’Albert ; cet homme avait mis dans sa passion une grandeur, une intensité et une durée qui en faisait une chose vraiment belle ; mais il était douteux qu’après tant de douleurs et d’essais réitérés de consolations délétères, puisées dans la débauche, il pût aimer encore comme il avait aimé. Ce second amour qu’il m’offrait ne serait qu’une pâle et grimaçante contrefaçon du premier ; je méritais mieux que ces restes d’un cœur flétri et d’un génie qui sommeillait ; Albert était célèbre et lui était obscur, mais lui du moins me donnait son âme entière où aucune image n’obscurcissait la mienne. Je serais toujours pour lui la femme unique, l’inspiration de sa solitude, la chaîne aimée de sa jeunesse, la douce lumière qui planerait sur son déclin ; semblable à cette première femme de Mahomet qui fit la destinée du prophète et qu’il aima jusqu’aux derniers jours, vieille et blanchie, la préférant aux jeunes et fraîches épouses qui n’eurent jamais son cœur.

Il était trop fier, poursuivait-il, pour rien ajouter, mais il attendait la décision de mon amour avec une impatience qui troublait son travail et sa solitude ; il me