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suppliait en finissant de continuer à lui parler d’Albert sans restriction ; c’était, me disait-il, pour son esprit une étude vivante dont rien n’égalait l’intérêt, et, en satisfaisant sa curiosité, je lui donnais une véritable preuve d’amour !

Je froissai convulsivement cette lettre où je ne trouvais pas un cri parti du cœur. Oh ! mon Dieu, pensais-je, comment n’est-il pas venu ? comment n’a-t-il pas eu cet élan de l’amour ? comment peut-il me laisser seule dans l’état de détresse où se trouve mon âme ? La dernière phrase de sa lettre me fit l’effet d’un scalpel qui aurait pénétré dans une chair vive ; il voulait tout savoir sur ce qui concernait Albert ; ce noble génie était devenu un objet d’analyse pour cet esprit solitaire et froid. Non ! non ! pensais-je, je ne continuerai plus cette dissection d’un grand cœur blessé ; cela ressemblerait à une trahison ; je m’arrêterai ; dès le premier jour j’aurais dû refuser de lui donner Albert en spectacle ! et cependant pouvais-je agir autrement ? lui cacher quelque chose de ma vie, c’était ne l’aimer qu’à demi et partant ne pas l’aimer, car suivant la profonde parole de l’Imitation : Qui n’a pas un amour sans limites, n’aime point.

Lui, l’avait-il bien pour moi cet amour ? hélas ! je ne le voyais pas dans cette lettre. Mais d’autres lettres avaient été plus tendres, elles avaient épanoui mon cœur et l’avaient satisfait ; ce n’était pas un rêve, j’étais aimée ! J’en avais eu la conviction dans ses bras et j’en retrouvais la certitude dans ses lettres. Un désir