Page:Colet - Lui, 1880.djvu/401

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 380 —

répondait qu’il y avait chômage. Enfin, tantôt, vers la nuit, je rentrais chez moi, découragée, me soutenant à peine ; je n’avais bu qu’un peu d’eau dans la journée. Je songeais à vous écrire, puis à me faire mourir par le charbon, quand tout à coup je me suis aperçue qu’un monsieur me suivait ; je ne sais pas s’il était beau ou laid ; il m’a dit que je lui plaisais. Je lui ai répondu qu’il voulait rire. — Point ! a-t-il répliqué ; veux-tu venir au bal de l’Opéra avec moi ? — Dans ma robe déchirée, et en mourant de faim ? ai-je repris tristement. — Oh ! si ce n’est que cela, voilà vingt francs, ma petite, cours te restaurer ; je vais t’envoyer un joli déguisement de pierrette et dans une heure je serai chez toi.

« Que lui répondre ? Ma foi ! ça valait mieux que la mort, j’ai accepté, je lui ai donné mon adresse, et j’ai commandé en passant un bon souper au rôtisseur. À votre service, monsieur Albert, ce poulet est fort tendre ; j’en avais à peine mangé la moitié, que mon joli costume est arrivé ; je l’ai mis de suite, gaiement et en remerciant le bon Dieu ! N’est-ce pas qu’il me va bien ? et que je suis encore jolie comme autrefois, quoiqu’un peu maigre ? Voyons, décidez-vous ? Prenez la place de mon galant inconnu, que je n’aime pas du tout, et allons au bal !

— Non, ma petite Suzette, lui répondis-je, il faut être avant tout loyale, et ne pas tromper l’espoir de cet amoureux, quel qu’il soit. Voilà quelques louis qui te serviront à te mieux loger et à te vêtir. Une