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Page:Colet - Lui, 1880.djvu/402

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voix m’avait dit que tu étais dans la peine, et je suis venu.

Elle m’embrassa, les larmes aux yeux.

— Allons, mon petit pinson, pas de tristesse, lui dis-je, reprends ton refrain et laisse-moi partir.

— Reviendrez-vous au moins ? fit-elle.

— Peut-être, répliquai-je, et je sortis. En traversant le couloir, je me heurtai contre le rôtisseur qui apportait triomphalement à Suzette le substantiel souper que j’avais commandé.

— Oh ! vous êtes un bon cœur ! dis-je à Albert quand il eut fini ce dernier récit où s’alliait avec tant de naturel l’attendrissement et la gaieté.

En ce moment, nous nous trouvions dans la même allée où un soir Albert m’avait pressée sur son cœur.

— Chère Stéphanie, reprit-il, c’est vous qui avez été ma dernière vision. Quand je vous ai cherchée en vain dans les décombres de la place du Carrousel, j’ai cru voir votre ombre, ou plutôt je l’ai vue, c’est certain, qui se dressait derrière moi ; elle me suivait en me disant : « Tu m’as tuée ! tu m’as tuée ! » Durant deux nuits vous m’êtes apparue morte ; vous étiez plus belle encore et comme transfigurée. Et vous m’aimiez malgré mon crime ; car la mort vous faisait lire dans les profondeurs de mon cœur, et, par un miracle, hélas ! qui ne s’est point accompli, vous n’aimiez plus l’autre. C’était lui ! ce n’était plus moi, qui allait se perdant et s’abrutissant dans des hontes mystérieuses. Mais il n’en rapportait pas cette tristesse et cette pâleur mortelles,