Page:Collectif - Revue canadienne, Tome 1 Vol 17, 1881.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Prenez par exemple la pièce « Sur la tombe de Cadieux. » Les trois premiers vers,

Sur un îlot désert de l’Ottawa sauvage.
Le voyageur remarque, à deux pas du rivage,
Un tertre que la ronce achève de couvrir,

vous font souvenir malgré vous des trois premiers vers de l’ode de Lamartine à Napoléon : —

Sur un rocher battu par la vague plaintive
Le nautonier de loin voit blanchir sur la rive
Un tombeau près du bord par les flots déposé.

Les mêmes rapprochements reviennent partout. Fatalité, c’est du Musset ; à Florence c’est du Byron servi froid ; Alleluia, c’est du Turquety, du Lamartine et de l’Ancien Testament ; Bonfanti, c’est de tout le monde.

Quant à Victor Hugo il est présent partout, comme dans ce distique : —

Et les petits oiseaux dans le duvet des nids
Chantaient sous l’œil de Dieu leurs amours infinis.

Doit-on en conclure que la poésie, comme l’histoire, se répète ?

Je prends mon bien ou je le trouve, disait Molière ou Lafontaine. Pour le malheur de M. Fréchette, les sources où il puise sont trop connues de tous les lecteurs français. L’imitation quelque déguisée, quelque savante, quelque heureuse quelle soit, sera toujours de l’imitation, et Hugo, Musset et Byron vivront, quand nul ne se souviendra de leurs imitateurs, fussent-ils aussi grands que les modèles. Or, M. Fréchette n’est pas de taille à lutter contre les géants de l’école romantique.

Il possède, sans doute, des qualités incontestables, une pureté de diction, une limpidité de style presqu’inconnues de nos poètes canadiens ; il a beaucoup de grâce et souvent de sensibilité vraie. Mais cette puissance de création qu’on appelle le génie lui fait défaut ; il semble ne pouvoir gravir que les sentiers battus. Il emprunte tout, jusqu’aux sources même de son inspiration. C’est un « nid » gazouillant ses amours sous le regard de Dieu, c’est « un rayon d’aurore »