Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/418

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Mon esprit, ainsi perverti momentanément, se refusait au souvenir de ce qui s’était passé depuis le matin ; et je n’eus bientôt d’autre ressource que de refermer mon « Journal » pour m’en distraire pendant quelques instants.

J’ouvris la porte qui, de ma chambre à coucher, menait dans mon boudoir, et quand j’eus passé d’une pièce dans l’autre, je refermai cette porte pour empêcher tous les accidents qui pouvaient résulter du courant d’air auquel se trouvait exposé le flambeau laissé par moi sur la table de toilette. La fenêtre de mon boudoir était toute grande ouverte, et je m’y appuyai négligemment, regardant au dehors le paysage nocturne.

Tout était obscur et calme. Ni lune ni étoiles ne se voyaient au ciel. Dans l’air, appesanti et sans mouvement planait une odeur de pluie ; si bien que j’étendis la main hors de la fenêtre… Mais non… la pluie ne faisait que menacer ; elle ne tombait pas encore.

Je demeurai accoudée sur l’appui de la fenêtre pendant à peu près un quart d’heure, perdant mes regards distraits dans les épaisses ténèbres, et sans rien entendre si ce n’est, çà et là, les voix de nos domestiques, ou le bruit lointain d’une porte qui se fermait dans les régions inférieures du château.

Au moment même où, fatiguée de cette rêverie sans but, j’allais rentrer dans ma chambre, et pour la seconde fois, tâcher de compléter les derniers paragraphes de mon « Journal », je sentis une odeur de fumée de tabac qui m’arrivait à l’improviste dans cette atmosphère pesante d’une nuit orageuse.

Le moment d’après, je vis, arrivant à l’autre extrémité du château, dans l’obscurité profonde qui nous enveloppait, une sorte de petite étincelle rouge. Je n’entendais aucun bruit de pas, et ne pouvais rien voir si ce n’est cette étincelle même. Elle voyageait dans la nuit, passa sous la fenêtre où je me tenais, et s’arrêta juste en face de celle de ma chambre à coucher, laquelle se trouvait éclairée par le flambeau que j’avais laissé sur la table de toilette.