Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/96

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remarquez-le bien, sans aucune aide, sans allusions ou confidences de qui que ce soit. Faute de réflexion suffisante, monsieur Hartright, vous vous êtes laissé aller à concevoir une vive affection, — sérieuse et dévouée, j’en ai peur, — dont ma sœur Laura est l’objet. Je ne vous condamne pas au chagrin de me l’avouer expressément, car je vous vois et vous sais trop franc pour renier ce sentiment. Je ne vous inflige même aucun blâme ; je vous plains d’avoir ouvert votre âme à un attachement sans espoir. Vous n’avez pas essayé de prendre à mon insu le moindre avantage, — jamais vous n’avez parlé secrètement à ma sœur. Vous avez manqué de force, vous n’avez pas veillé assez sur vos plus chers intérêts ; c’est là tout ce qu’on peut vous reprocher. Si je vous eusse vu, à aucun égard, moins de délicatesse et de discrétion, je vous aurais fait quitter le château sans la moindre hésitation, sans le plus petit retard, sans consulter personne. Comme vont les choses, je ne m’en prends qu’à votre jeunesse et à votre situation : je n’ai rien à blâmer en vous… Serrons-nous la main ! — je vous ai fait de la peine ; je vais vous en faire encore, et bien malgré moi, mais comment éviter ceci ?… Avant tout, pourtant, serrez la main de votre amie, la main de Marian Halcombe !…

Cette bonté soudaine, — cette chaleureuse sympathie d’une âme intrépide et haute, qui traitait avec moi, du premier coup, sur le pied de la plus parfaite égalité, qui faisait appel, avec cette généreuse brusquerie, à mes sentiments, à mon honneur, à mon courage, me domptèrent en un instant. Quand elle prit ma main, j’essayai de la regarder ; mais quelques pleurs voilaient mes yeux. J’essayai de la remercier ; mais je sentis la voix me manquer.

— Écoutez-moi ! me dit-elle, évitant avec un tact parfait la moindre allusion à cet accès de faiblesse, écoutez-moi et finissons-en ! C’est un vrai soulagement pour moi de n’avoir pas, dans ce qu’il me reste à dire, à traiter une question que je trouve pénible et cruelle, — la question de l’inégalité des rangs. Des circonstances qui vont être poignantes pour « vous » m’épargnent, à « moi » la