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lence de mon cousin était encore surexcitée par les scènes de carnage que nous venions de traverser ; à mon avis, il était tout à fait incapable de remplir la mission qui nous avait été confiée.

Il y avait passablement de désordre et de confusion dans la salle du Trésor, toutefois je ne remarquai aucun acte de violence ; on eût pu dire que nos hommes pillaient avec la gaieté d’enfants en vacances. Ils échangeaient des jeux de mots, des plaisanteries, et l’histoire du fameux diamant revenait en scène sous forme de lazzis. « Qui a pu trouver la Pierre de Lune ? » Ce refrain était incessant et ne s’arrêtait parfois que pour redoubler sur d’autres points non encore explorés.

Pendant que j’essayais vainement de remettre un peu d’ordre parmi cette troupe surexcitée, j’entendis des cris effroyables s’élever de l’autre côté de la cour ; j’y courus, redoutant que les soldats n’eussent trouvé sur ce point un nouvel élément de destruction.

Je parvins à une porte ouverte, et vis les corps inanimés de deux Indiens que, à leur costume, je reconnus pour être des officiers du palais.

D’autres cris partant de l’intérieur, je me précipitai dans une pièce qui paraissait être un arsenal. Là, un autre Indien, mortellement blessé, s’affaissait aux pieds d’un homme dont je n’apercevais que le dos. Celui-ci se retourna en entendant mes pas, et je reconnus John Herncastle, une torche dans une main, et dans l’autre un poignard ruisselant de sang.

Une pierre, disposée en pommeau à l’extrémité de la poignée, étincelait de mille feux à la lueur de la torche. L’Indien mourant se soutint sur les genoux, désigna le poignard tenu par mon cousin, et dit en langue hindoue : « Le diamant de la lune tirera vengeance de vous et des vôtres. »

En proférant cette dernière menace, l’Indien retomba mort. Les hommes qui m’avaient suivi, en traversant la cour, envahirent l’arsenal. Avant que j’eusse pu prendre un parti, Herncastle s’élança vers eux comme un fou furieux. « Dégagez la porte, me cria-t-il, et mettez-y une garde ! » Les soldats reculèrent devant sa torche et son poignard.

Abasourdi de cette singulière scène, je plaçai pourtant à la porte deux sentinelles éprouvées et prises parmi les soldats