Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/136

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sous jeu, ce que j’ai vu ne signifie pas grand’chose. S’il n’en existe pas, au point où en sont les choses dans votre maison, cette cachotterie serait des plus suspectes, et mon devoir me forcerait à agir en conséquence. »

Au nom du ciel, que devais-je faire ? Je savais que le taillis était la promenade favorite de M. Franklin ; je savais que ce serait son chemin le plus court pour revenir par là de la station ; Pénélope avait surpris mainte et mainte fois sa camarade rôdant de ce côté, et m’avait toujours affirmé que le but de Rosanna était d’attirer l’attention de M. Franklin, à tout prix. Si ma fille ne s’abusait pas, elle guettait sans doute le retour de M. Franklin lorsque le sergent l’avait aperçue. J’étais placé dans le dilemme, soit de communiquer au sergent la bizarre supposition de Pénélope comme étant mienne, soit de laisser une malheureuse créature sous le coup de soupçons qui pouvaient entraîner de graves conséquences.

Je me décidai donc, sur mon âme et conscience, par pure pitié pour cette fille, à donner au sergent les éclaircissements nécessaires, et je lui dis que Rosanna avait été assez extravagante pour tomber amoureuse de M. F. Blake.

Le sergent Cuff ne riait jamais. Dans les rares occasions où il s’égayait, les coins de sa bouche se retroussaient un peu, rien de plus ; ici, je le vis donc se dérider à sa façon.

« Ne serait-il pas plus juste de dire qu’elle est assez folle pour être une fille laide et une servante ? demanda-t-il. Le fait d’être éprise d’un homme aussi agréable que M. Blake ne me paraît pas, à moi, le côté le plus extravagant de sa conduite. En tout cas, je suis aise que l’affaire soit éclaircie : c’est un repos d’esprit. Oui, monsieur Betteredge, je garderai le secret de cette pauvre fille. J’aime à pouvoir me laisser aller à l’indulgence envers les faiblesses humaines, bien que j’aie peu l’occasion de pratiquer cette vertu dans l’exercice de ma profession !

« Vous croyez que M. Franklin n’a aucun soupçon de la passion qu’il inspire ? Ah ! il l’aurait bien vite devinée si la femme avait été jolie ! Les femmes laides ont vraiment une triste destinée ici-bas ; espérons qu’on leur en réserve une meilleure dans un autre monde !

« Vous avez là un joli jardin et des mieux tenus, continua