Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/137

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le sergent, mais jugez vous-même combien les fleurs gagnent en agrément à être entourées de gazon au lieu de sable. Non, merci, je ne veux pas que vous cueilliez de roses pour moi ; cela me va au cœur de voir briser leur tige, exactement comme vous vous sentez attristé lorsque les choses vont de travers dans votre domaine intérieur.

« N’avez-vous rien vu qui fût digne d’être remarqué parmi les domestiques, lorsqu’ils apprirent la perte du diamant ? »

Je m’arrangeais très-bien du sergent jusqu’alors. Mais l’astuce avec laquelle il insinua cette dernière question, me mit sur mes gardes. Pour dire le mot, je ne goûtai nullement l’idée de seconder son inquisition contre mes camarades, menée avec l’insidieuse allure d’un serpent.

« Je n’ai rien observé, dis-je, sauf que nous perdîmes tous la tête, et moi tout le premier.

— Oh ! dit le sergent, c’est là tout ce que vous avez à me dire ? » Je répondis sans broncher, je m’en flatte : « C’est tout. »

Le sergent leva ses yeux étranges sur moi et me considéra attentivement.

« Monsieur Betteredge, me dit-il, auriez-vous quelque objection à me donner une poignée de main ? je me sens singulièrement attiré vers vous. »

(Il me sembla incompréhensible qu’il choisît le moment précis où je le trompais de mon mieux, pour m’offrir un témoignage de son estime ! mais je me sentis fier, très-fier, dirai-je, d’avoir été plus fin que le célèbre Cuff !)

Nous rentrâmes ; le sergent me demanda de lui ouvrir une chambre, et d’y envoyer ensuite tous les domestiques les uns après les autres, dans l’ordre de leurs positions respectives, depuis le premier jusqu’au dernier.

Je cédai au sergent ma propre chambre, puis je réunis les gens dans le hall.

Rosanna Spearman s’y rendit avec eux. Elle était presque aussi fine à sa manière que le sergent l’était à la sienne, et je soupçonne qu’elle l’avait entendu me questionner sur nos domestiques en général, avant qu’il l’eût aperçue dans le taillis. En tout cas, elle était là, ne paraissant pas se douter qu’il existât une promenade de ce côté-là !

J’envoyai nos gens un par un, comme on me le demandait.