Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mit à contempler M. Cuff comme si elle ne pouvait se rassasier de le voir.

Je m’assis tranquillement dans un coin, curieux de savoir comment le sergent s’y prendrait pour aborder le sujet de Rosanna Spearman. Ses manières détournées devinrent encore plus rusées dans cette occasion.

Je ne saurais me rappeler par quel chemin il s’approcha de son but. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il commença par la famille royale, continua par les méthodistes, puis vint le prix du poisson, de là, il arriva, sans paraître y toucher, à la perte du diamant, à la méchanceté de notre première housemaid et à la dureté générale des servantes de la maison envers Rosanna.

Parvenu à ce point de son discours, il raconta qu’il s’occupait de la recherche de la Pierre de Lune, en partie pour la retrouver, et aussi dans le but charitable de disculper Rosanna des injustes soupçons que faisaient peser sur elle ses ennemies.

Un quart d’heure après notre entrée, la bonne Mrs Yolland était persuadée qu’elle parlait au meilleur ami de Rosanna, et elle pressait le sergent de soutenir son moral et de réconforter son estomac par un verre de la liqueur hollandaise.

Dans la conviction où j’étais que le sergent perdait son temps auprès de Mrs Yolland, je m’amusai de leur conversation, exactement comme si j’eusse assisté à une comédie. Le grand Cuff fit preuve d’une patience surprenante, tirant un coup de feu de temps à autre au hasard, et courant après la chance de tomber une fois juste. Quoi qu’il fît, il ne ressortit de la conversation de Mrs Yolland que des faits à l’avantage de Rosanna, et aucun à son préjudice ; le tout était débité avec une volubilité à en perdre haleine par Mrs Yolland, qui mettait toujours toute sa confiance en M. Cuff. Il tenta son dernier effort lorsque nous regardâmes nos montres, et que nous nous préparâmes au départ.

« Je vais vous souhaiter le bonsoir, madame, dit le sergent, et je dirai seulement en parlant que Rosanna Spearman a en votre serviteur quelqu’un qui lui veut sincèrement du bien. Mais là, croyez-moi, elle ne pourra jamais rester dans sa place actuelle, et mon avis serait qu’elle la quittât.