Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/151

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— Que Dieu vous bénisse ! mais elle va la quitter, » s’écria Mrs Yolland.

Rosanna Spearman songeait à quitter la maison ! À ce mot, mes oreilles se dressèrent ; il semblait étrange, pour ne rien dire de plus, qu’elle n’en eût prévenu ni milady ni moi. J’eus la pensée que le dernier effort de M. Cuff pourrait bien avoir atteint son but, et que ma participation à son entreprise n’était pas inoffensive comme je m’en flattais.

Ce pouvait être l’affaire du sergent de tromper une honnête mère de famille en l’enlaçant dans un réseau de mensonges ; mais, quant à moi, mon devoir m’ordonnait comme bon protestant de me souvenir que le père du mensonge est le démon, et que le mal et le diable vivent toujours de compagnie. Aussi, pressentant de nouvelles noirceurs, j’essayai d’emmener le sergent.

À l’instant même il se rassit et demanda un verre du réconfortant hollandais.

Mrs Yolland s’assit en face de lui et lui offrit sa petite goutte. J’allai vers la porte, de fort mauvaise humeur, en disant que je pensais qu’il était temps de leur souhaiter le bonsoir. Pourtant je ne m’en allai point.

« Alors, vraiment elle compte quitter sa place ? reprit le sergent ; mais que fera-t-elle après cela ? C’est triste, bien triste, car cette pauvre fille n’a pas un ami en ce monde, sauf vous et moi !

— Ah mais, si pourtant, elle en a, repartit Mrs Yolland, car elle est venue ce soir ici comme je vous l’ai dit, et, après un bout de conversation avec ma fille Lucy et moi, elle nous a demandé à monter dans la chambre de celle-ci : il faut vous dire que c’est le seul endroit où il y ait des plumes et de l’encre. « J’ai besoin d’écrire une lettre à une amie, me dit-elle, et je ne puis jamais le faire à la maison par suite de l’espionnage des domestiques. » À qui la lettre était-elle adressée, je ne saurais vous le dire, mais il faut qu’elle ait été d’une fameuse longueur, à en juger par le temps qu’elle a passé en haut. Je lui ai offert un timbre, mais en redescendant elle n’avait pas sa lettre à la main, et n’a pas accepté le timbre.

« Elle est un peu trop réservée, cette pauvre créature, comme vous le savez, sur son compte même et sur ses