Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/157

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la maison. Les ténèbres l’empêchèrent de voir l’entrée de ce côté et, j’eus beau l’appeler, il continua sa marche jusqu’à ce qu’il fût arrêté par une petite porte donnant accès au jardin. Lorsque je le rejoignis pour lui montrer la véritable entrée, je le surpris en contemplation devant une des fenêtres de l’étage occupé par les chambres à coucher, sur la façade de derrière la maison.

Je levai les yeux à mon tour, et je vis que ce qu’il considérait si attentivement était la fenêtre de la chambre de miss Rachel où des lumières allaient et venaient comme s’il s’y passait quelque chose d’inusité.

« N’est-ce pas là la chambre de miss Verinder ? » demanda M. Cuff.

Je répondis que oui, et je l’engageai à rentrer souper avec moi. Le sergent ne bougea pas, sous prétexte qu’il éprouvait du plaisir à humer pendant la nuit les senteurs du jardin. Je le laissai tout à ses plaisirs ; au moment où je rentrais, j’entendis près de la petite porte treillagée siffloter la Dernière Rose d’été. Le sergent venait de faire une nouvelle découverte ! Et la fenêtre de ma jeune maîtresse lui servait cette fois d’auxiliaire !

Cette dernière pensée me ramena grès du sergent, avec une phrase polie sur le regret que j’aurais à le laisser seul.

« Y a-t-il là quelque chose que vous ne compreniez point ? » lui dis-je en désignant la fenêtre de miss Rachel.

À en juger par le son de sa voix, le sergent avait sensiblement regagné dans sa propre estime. « Vous êtes de forts parieurs en Yorkshire, n’est-il pas vrai ? demanda-t-il.

— Eh bien, à supposer qu’il en soit ainsi ? répondis-je.

— Si j’étais un Yorkshireman, fit le sergent, en posant sa main sur mon bras, je parierais avec vous un joli souverain que votre jeune dame vient de se décider subitement à quitter la maison ; et si je gagnais là-dessus, j’en offrirais encore un pour soutenir que l’idée ne lui en est venue que depuis une heure. »

La première supposition du sergent me fit tressaillir de surprise ; la seconde se mêla dans ma tête avec le rapport du policeman, d’après lequel Rosanna était rentrée depuis environ une heure. Ces deux idées réunies produisirent un singulier effet sur moi. Je quittai le bras du sergent, et, ou-