Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tait, et je me serais volontiers coupé la langue pour m’être oublié jusqu’à causer avec un M. Cuff.

Milady fut la première qui sortit de la maison ; elle se mit de côté, placée sur la marche du haut, afin de bien voir ce qui se passerait. Elle ne dit pas un mot au sergent ni à moi. Les lèvres serrées, les bras croisés sous son manteau de jardin, elle attendait immobile comme une statue que sa fille parût.

Un instant après, miss Rachel descendit l’escalier ; sa mise était très-soignée. Elle portait une robe serrée à la taille et dont la nuance d’un jaune tendre s’harmoniait parfaitement avec son teint brun. Sur sa tête un petit chapeau de paille autour duquel s’enroulait un voile blanc ; à ses mains des gants couleur de primevère qui en faisaient valoir l’exquise finesse. Ses beaux cheveux noirs s’échappant de dessous son chapeau semblaient avoir la douceur du satin. Quant à ses oreilles, on les eût prises pour deux coquillages aux teintes rosées avec la perle qui ornait l’extrémité de chacune d’elles. Elle vint lestement vers nous, droite comme la tige d’un lis ; chacun de ses mouvements respirait la souplesse d’un jeune chat. Rien n’était altéré dans sa figure, sauf l’expression de ses yeux et de sa bouche. Ses yeux brillaient d’un éclat dur qui me fit mal à voir, et j’eus peine à reconnaître ses lèvres décolorées et dépourvues de sourire. Elle embrassa sa mère sur la joue d’une manière précipitée, en lui disant : « Tâchez de me pardonner, maman ! » puis elle ramena son voile sur sa figure, et cela si brusquement qu’il se déchira.

Une seconde après, elle descendait les marches en courant, et s’élançait dans la voiture comme vers un lieu de refuge. Le sergent Cuff fut aussi alerte qu’elle ; il poussa Samuel de côté, et se trouva près de miss Rachel, la main sur la portière ouverte, au moment où elle se plaçait dans le coin de la voiture.

« Que voulez-vous ? dit miss Rachel sous son voile.

— Je désire vous dire un mot, miss, avant votre départ. Je ne puis me flatter d’empêcher votre visite chez votre tante ; je dois seulement vous prévenir que votre départ, dans les circonstances actuelles, mettra un obstacle de plus à nos efforts pour retrouver le diamant. Soyez-en bien per-