Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/180

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suadée, et décidez ensuite ce qu’il vous convient de faire. »

Miss Rachel affecta de ne l’avoir même pas entendu. « Partez, James, » cria-t-elle au cocher. Sans ajouter un mot, le sergent referma la portière. Juste à ce moment, M. Franklin arriva rapidement au bas des marches.

« Adieu, Rachel, dit-il, en lui tendant la main.

— Partez donc ! » cria miss Rachel sur un ton plus haut que la première fois, et sans prêter plus d’attention à M. Franklin qu’elle n’en avait accordé au sergent.

M. Franklin fit un pas en arrière, abasourdi et à bon droit. Le cocher, ne sachant quel parti prendre, regarda du côté de milady, toujours immobile sur la première marche. Celle-ci laissait voir sur son visage un mélange de peine, de honte et de colère ; elle fit signe à l’automédon de laisser aller les chevaux, et rentra précipitamment dans l’intérieur de la maison. M. Franklin, après avoir recouvré l’usage de la parole, rappela sa tante dès que la voiture fut partie et lui dit :

« Chère tante, vous aviez raison. Agréez mes remerciements pour toutes vos bontés, et laissez-moi partir. »

Milady tourna la tête, fut sur le point de lui parler ; puis, comme si elle eût redouté sa propre émotion, lui fit un signe affectueux de la main.

« Ne partez pas sans que je vous aie revu, Franklin, » dit-elle d’une voix tremblante, puis elle regagna sa chambre.

« Rendez-moi un dernier service, Betteredge, me dit M. Franklin les larmes aux yeux, faites-moi mener au chemin de fer aussitôt que vous le pourrez. »

Lui aussi entra dans la maison ; il était en ce moment absolument anéanti, et par l’émotion qu’il ressentait de la conduite de miss Rachel envers lui, je pus juger de la force de son amour pour elle.

Le sergent et moi restâmes face à face au bas des marches ; le sergent fixait une éclaircie entre les arbres, par laquelle on distinguait les tournants du chemin d’arrivée de la maison ; il tenait ses mains dans ses poches et sifflotait, pour son plaisir particulier, la Dernière Rose d’été.

« Il y a temps pour tout, dis-je brutalement ; et ce moment-ci n’est pas bien choisi pour siffler ! »

On apercevait alors la voiture près de la loge du concierge ;