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— Ce garçon connaît-il bien la côte des environs ? demanda le sergent.

— Il est né et a été élevé sur les côtes, répondis-je.

— Duffy, dit le sergent, voulez-vous gagner un shilling ? En ce cas, venez avec moi.

— Tenez toujours la chaise toute prête, monsieur Betteredge, jusqu’à ce que je revienne. »

Il partit pour les Sables-Tremblants, et se mit à marcher si vite que mes jambes (quoique encore lestes pour mon âge) ne pouvaient tenter de le suivre.

Duffy, selon l’usage des petits sauvages de nos contrées, lorsqu’ils sont excités, jeta en partant une sorte de hurlement dans l’air, et ne quitta plus les talons du sergent.

Ici encore je ne saurais décrire l’état d’esprit dans lequel me laissa M. Cuff.

Je fus pris d’une agitation sans but, qui me portait à faire vingt choses inutiles tant dans l’intérieur de la maison qu’au dehors, et dont je ne saurais me rappeler une seule.

Je ne puis même pas dire combien de temps s’était écoulé depuis le départ du sergent lorsque Duffy arriva tout courant, et porteur d’un message pour moi. M. Cuff avait donné à l’enfant un feuillet déchiré de son agenda, sur lequel il avait écrit au crayon : « Envoyez-moi un brodequin de Rosanna Spearman, et ne perdez pas de temps. »

J’appelai la première femme que je rencontrai, pour chercher des brodequins dans la chambre de Rosanna, et je dis au garçon de partir en avant et d’annoncer que je le suivais moi-même avec l’objet demandé.

Ce n’était pas, il faut l’avouer, le moyen le plus prompt de remplir les intentions du sergent ; mais j’étais décidé à juger par moi-même, avant délivrer la chaussure, quel était le nouveau piège tendu à Rosanna. Ma manie de garantir cette fille, autant que je le pourrais, me ressaisit, j’en conviens, assez mal à propos : ce sentiment, joint, je le crains, à la fièvre de curiosité, me donna des ailes, si tant est qu’on puisse trouver bien agile la marche d’un homme de plus de soixante-dix ans. Comme j’approchais du rivage, les nuages s’amoncelèrent, et la pluie, chassée par le vent, commença à tomber.

On entendait le grondement de la mer sur les bancs de