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sable à l’entrée de la baie, un peu plus loin je rencontrai notre petit messager qui cherchait un abri sous l’avance des collines de sables de la côte. Enfin m’apparut la mer en fureur ; je vis les vagues se briser sur les bancs de sable ; la pluie, fouettée par l’ouragan, volait au-dessus de l’eau et de la morne solitude de la plage ; une seule figure se détachait dans ce lugubre tableau, et je reconnus, debout sur le rivage, le sergent Cuff.

Il agita sa main dans la direction du nord en m’apercevant.

« Appuyez de ce côté, cria-t-il, et venez ensuite vers moi. »

Je le joignis, la respiration haletante et sentant mon cœur qui battait à se rompre.

Je ne parvenais pas à parler ; cent questions arrivaient à mes lèvres et je ne pouvais articuler un son. La figure du sergent m’effraya, car je lus dans ses yeux une sensation d’horreur. Il m’arracha le brodequin des mains, le plaça dans une empreinte du sable venant du sud par rapport à nous, et poussant droit vers la chaîne de rochers nommée l’Aiguille du Sud. L’empreinte n’était pas encore effacée par la pluie, et la chaussure de la jeune fille s’y adaptait complètement.

Le sergent montra le brodequin placé sur le sable, sans ajouter un seul mot.

Je m’accrochai à son bras, et fis un effort pour parler ; je ne pus y réussir. Il suivit les pas sur le sable l’un après l’autre jusqu’au point où le sable et les rochers se rejoignaient. Le flot montant battait l’Aiguille du Sud, et l’eau se soulevait au-dessus du gouffre.

Le sergent Cuff gardait un silence glacial au milieu de ses recherches obstinées qui le faisaient se porter tantôt d’un côté, tantôt d’un autre. Il plaça le brodequin dans toutes les empreintes, et les trouva toutes invariablement dirigées vers un seul point, celui qui aboutissait aux rochers et à l’abîme ; il eut beau regarder, chercher avec toute sa pénétration, il ne put découvrir une seule empreinte, en revenant !

Il s’arrêta vaincu, me regarda en silence, puis contempla les flots qui couvraient d’instant en instant les sables mouvants. Mes regards se portèrent du même côté, et je lus sa pensée dans la pitié empreinte sur sa figure. Un tremblement affreux s’empara de tout mon être, et je tombai agenouillé sur la plage.