Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/201

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pousserait-elle la duplicité plus loin et ferait-elle naître en nous la conviction que le joyau avait été volé ? Dans ce dernier cas, le passé de Rosanna la désignait entre tous à nos soupçons ; vous, milady, et moi, nous nous trouvions ainsi amenés sur une fausse piste. »

Était-il possible, me demandai-je à moi-même, de présenter les choses sous un aspect plus affreux contre miss Rachel et Rosanna ? Oui, c’était possible, comme vous allez le voir.

« J’avais, continua-t-il, une raison plus forte encore pour suspecter Rosanna. Qui eût pu faciliter à miss Verinder le moyen d’emprunter de l’argent sur la garantie de la Pierre de Lune ? Rosanna Spearman. Aucune jeune fille du rang de miss Verinder ne pouvait se risquer dans une pareille entreprise, et il lui fallait absolument un intermédiaire. Personne dès lors n’était plus propre à cet emploi que cette fille, car votre housemaid, lorsqu’elle était voleuse de profession, était une voleuse de haut parage ; je la savais en relations avec un des rares usuriers de Londres qui fussent en mesure d’avancer une somme importante sur un joyau aussi remarquable que l’était la Pierre de Lune, et cela sans faire de questions gênantes et sans imposer des conditions trop incommodes. Retenez bien cette particularité, milady, et laissez-moi vous démontrer jusqu’à quel degré les actes de Rosanna et les conséquences toutes simples à en tirer ont dû fortifier ma conviction. »

Le sergent passa alors en revue tout ce que vous connaissez déjà de la manière d’agir de Rosanna, et vous comprendrez aisément combien cette partie de son rapport était logiquement accablante pour la mémoire de la pauvre fille. Ma maîtresse elle-même fut réduite au silence, et ne trouva aucune réponse à lui opposer lorsqu’il eut fini. Cela parut importer fort peu à M. Cuff ; il continua à parler aussi tranquillement qu’avant. Le diable l’emporte avec son calme !

« Vous possédez maintenant, milady, tous les détails de l’affaire aussi bien que moi ; il me reste à vous soumettre ce que je compte faire ; je ne vois que deux moyens de conduire l’enquête à bonne fin. L’un d’eux me paraît certain ; l’autre, j’en conviens, n’est qu’une expérience hardie à tenter. Milady décidera ; faut-il parler d’abord du moyen le plus sûr ? »

Ma maîtresse lui laissa le choix.