Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/203

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agir ; je désire lui causer une violente émotion, et dans des circonstances qui soient de nature à la toucher au vif ; pour parler franchement, je veux apprendre à miss Verinder, sans qu’elle y soit préparée, la mort de Rosanna ; j’aurai peut-être la chance de voir ses bons sentiments se réveiller soudain et la pousser à un aveu spontané. Milady, acceptez-vous ma proposition ? »

À mon infinie surprise, ma maîtresse répondit sur-le-champ :

« Oui, je l’accepte.

— La chaise est attelée, dit le sergent ; j’ai bien l’honneur de saluer milady. »

Celle-ci l’arrêta d’un signe.

« On fera appel aux meilleurs sentiments de ma fille, comme vous le désirez, dit-elle ; mais je réclame le droit, moi sa mère, de la soumettre personnellement à cette épreuve. Vous voudrez bien rester ici ; moi je pars pour Frizinghall. »

Le célèbre Cuff resta pour la première fois de sa vie muet d’étonnement comme un simple mortel.

Ma maîtresse sonna et fit demander son waterproof. La pluie tombait toujours à flots, la voiture fermée était partie avec miss Rachel ; j’essayai donc de dissuader milady de braver un pareil temps, mais ce fut peine perdue ! Elle ne voulut même pas accepter l’offre que je lui fis de l’accompagner afin de la garantir avec un parapluie ; la chaise avança avec le groom.

« Vous pouvez compter, dit-elle en parlant au sergent, sur deux choses. Je tenterai l’épreuve sur miss Verinder aussi hardiment que vous pourriez le faire vous-même, et je vous en ferai connaître le résultat de vive voix ou par lettre, dès ce soir, avant que le dernier train parte pour Londres. »

Elle monta dans la voiture, prit les rênes en main, et se rendit à Frizinghall.